vendredi 23 novembre 2007

Le monde intégral et l'ego

Est ce que le développement "intégral" aide à aller au delà de l'ego? A priori oui, c'est ce qui est proposé par tous les tenants de cette approche.. Seul problème, alors qu'il semblerait que personne ne soit à 100% faux, comme l'indique Ken Wilber, dans la pratique tous les groupes qui s'appellent "intégral" ont très peu de liens entre eux.. Et lorsqu'ils en ont eu, ces liens se sont délités.. Par exemple K. Wilber et G. Beck ont créé le "Integral Institute", puis se sont séparés, comme l'avaient fait auparavant Beck et Cowan qui ont chacun apporté la bonne parole de la Spirale séparément..

Il existe tout un courant "intégral mais pas Wilberien". Par exemple Christian De Quincey propose une vision très proche de celle de Wilber, mais visiblement, il ne s'apprécient que très modérément si l'on lit les critiques et les réponses aux critiques qu'ils se sont envoyés.. Quand on lit les critiques et les réponses on a l'impression que chacun a un peu raison: il est clair que la notion de relation et d'intersubjectivité n'est pas très développée chez Wilber, pour ne pas dire moins.. Il y a juste les termes et la possibilité de la relation (quadrant Collective-Extérieur C-E en bas à gauche), mais cela n'est pas pratiquement pas développé dans l'oeuvre de Wilber qui est beaucoup plus centré sur le "self" (le soi) que sur l'intersubjectivité et la relation. En revanche, tout le travail de De Quincey porte sur la relation, et l'intersubjectivité apparaît comme un mode fondamental. En gros, Wilber est plus "holon oriented" et De Quincey plus "Relation oriented".. Donc, finalement les différences sont plus de style que de fond, car chacun reconnait l'importance à la fois des holons et de la relation. C'est simplement la manière d'avancer qui est différente et qui est certainement lié à leur pratique..
Je ne parle bien entendu pas du site de Frank Viesser (www.integralworld.net), qui comprend des écrits de tous les anciens amoureux de Wilber qui ont eu le malheure de toucher à quelques bribes du maître.. et qui se sont rebellés...

Je viens de voir un site "Integral Transformative Practice (www.itp-life.com) dans lequeil il n'est fait aucune mention de Wilber.. Bizarre, non?

Pour l'instant Andrew Cohen et Ken Wilber ont l'air de bien s'entendre.. Mais il est vrai que A. Cohen ne se prend pas pour un philosophe, et K. Wilber ne veut pas être un guru..

Donc je me pose des questions: a priori toutes ces personnes devraient (et c'est peut être le conditionnel qui pose question) être capables de comprendre que chacun apporte une pierre dans l'édifice de l'évolution de conscience du monde, c'est à dire avoir se situer à une niveau (stage) turquoise relativement permanent.. Cela signifie que chacun puisse regarder le travail de l'autre avec une certaine compassion (au vrai sens du terme), reconnaître, malgré les défauts et les limitations évidemment présentes dans toute oeuvre, les réels apports. Mais c'est là que le bat blesse: si on lit les critiques et les réponses aux critiques, on peut constater qu'il y a bien un niveau "officiel" où chacun reconnaît les qualités de l'autre. Mais lorsqu'on en vient aux critiques et aux réponses aux critiques, on sent tout le côté "acide" des propos qui montrent bien la difficulté d'accepter l'autre dans sa différence, de voir tous les aspects positifs que chacun apporte, même dans les critiques.

Ce qui est décevant, c'est de voir que le mouvement de la pensée intégrale n'arrive pas à trouver de moyens de se mettre d'accord pour avancer tous ensemble, et qu'il a plutôt tendance à se mettre en rivalité, en bon Orange, plutôt qu'en coopération. Mais il est vrai qu'il y a beaucoup d'hommes dans ce milieu intégral, et que la compétition des egos est réellement une affaire très masculine.

dimanche 18 novembre 2007

Sur l'intériorité et le "mind/body problem"

En ce moment, dans le domaine des sciences cognitives, il existe un grand débat concernant la nature de l’esprit, qui porte essentiellement sur le rapport qui existe entre le corps et l’esprit. Plus exactement comment relier nos états mentaux, ce que nous croyons, ce dont nous avons conscience (et ce qui reste dans l’inconscient), ce que nous ressentons et la neurophysiologie du cerveau. Le débat ne porte pas tant sur le fait que le cerveau est bien le support de la pensée et de l’esprit – tous les scientifiques sont d’accord sur ce point (mis à part une ou deux exceptions notables) – mais sur la manière de relier la phénoménologie, c’est-à-dire ce que nous vivons intérieurement à un état neuronal. En d’autres termes, lorsqu’on voit quelque chose de rouge, c’est que certaines zones du cerveau s’activent. Mais si cela est suffisant pour le neurologue, cela ne permet pas d’expliquer la sensation de « rougéité » c’est-à-dire le fait que cela apparaisse comme rouge pour vous et moi. Techniquement cela s’appelle le problème de l’intentionnalité ou le problème corps/esprit (mind body problem).

Paul Ricoeur, grand philosophe, indique précisément à Jean-Pierre Changeux, auteur de l’homme neuronal et très grand neurobiologiste, qu’il ne faut pas confondre les discours qui portent sur le ressenti et ceux qui portent sur l’activation des structures neuronales (à lire dans Ce qui nous fait penser. La nature et la règle (Paris, Odile Jacob, 1998). un livre absolument remarquable pour la clarté des débats et la profondeur de pensée de part et d’autres.). En d’autres termes, le monde de la phénoménologie, du ressenti est un monde qui parle de choses avec certains mots, et le monde de la science avec d’autres mots. Il y a de plus en plus de pont entre ces deux domaines, car il y a de plus en plus de travaux permettant de relier les états mentaux aux états neuronaux. Mais parfois ces ponts n’existent pas encore, et on ne sait pas ce qui se passe au niveau du cerveau lorsque nous pensons à telle ou telle chose.

D’autre part, même si l’on est capable de faire un pont entre une structure neuronale et un ressenti, cela n’invalide pas le discours sur le ressenti. Car la notion d’expérience (pas expérimentation mais expérience au sens de experience en anglais, ce que l’on a vécu et ressenti profondément) est pour l’instant irréductible au monde matériel. On peut faire des ponts, mais pas éliminer ce monde intérieur du ressenti. Par exemple, on peut analyser précisément la structure vibratoire d’un morceau de musique, même expliquer les activations neuronales qui s’effectuent lorsqu’on écoute un morceau, cela ne change pas l’expérience intérieure et le plaisir que l’on peut avoir à écouter « la jeune fille et la mort » de Schubert par exemple (un morceau que j’adore).

Maintenant supposons que l’on veuille communiquer cette expérience d’écoute de la musique à quelqu’un de sourd, ou qui n’entend que deux notes de musique. Si l’on utilise le langage habituel qu’utilisent deux musiciens ou deux mélomanes, on ne pourra pas se faire comprendre d’un sourd. Il va falloir essayer d’utiliser un langage approchant, un langage que les sourds pourront comprendre. On parlera alors en termes analogiques, en utilisant des métaphores, par exemple en utilisant un vocabulaire portant sur la lumière et la couleur. C’est ce qu’on fait aussi lorsqu’un vocabulaire est trop pauvre dans un domaine. On va utiliser le vocabulaire d’un autre domaine pour le faire comprendre de manière presque poétique, en tout cas de manière analogique. C’est ce que fait l’œnologue par exemple lorsqu’il utilise le terme de ‘robe’, de ‘cuisse’, de ‘rondeur’, de ‘vigueur’ d’un vin et autres termes merveilleux. Imaginez que vous n’ayez jamais bu de vin.. Ces termes paraîtrons pour le moins abscons, et on se dira, mais de quoi parlent ils ? Mais si l’on est œnologue soi-même, le discours d’un autre œnologue est très parlant. Pourtant il n’est pas question de la structure chimique du vin. Simplement du ressenti de l’œnologue.. Maintenant que l’on connaît bien la chimie du vin, on peut mettre en relation ces termes avec la structure chimique du vin. Mais lorsque la chimie n’était pas bien développée, ces œnologues pouvaient décrire assez précisément un vin au travers simplement de ces termes de ressenti, c’est-à-dire à partir d’un point de vue «intérieur» et non comme le chimiste à partir d’un point de vue «extérieur».

C’est le langage que l’on peut utiliser pour expliquer des sensations et des ressentis. Ces ressentis décrivent une expérience, et les mots que l’on utilise alors sont comme dans le cas de l’œnologie, deviennent relativement «parlants» pour ceux qui ont déjà fait cette expérience. Ce qui permet de communiquer un tant soit peu de vécu et de faire «goûter» un peu de ce vécu à d’autres personnes sensibles à ce type de langage. En d’autres termes, les mots que utilisés sont des expériences vécues «du dedans» et non pas des expériences vécues «du dehors», comme pourrait le faire un traité scientifique. Par exemple l’expérience de l’orgasme peut être décrite en termes de neurotransmetteurs (endorphines, dopamine, acétylcholine,..). Mais cela ne permet pas de communiquer l’effet que cela fait d’avoir un orgasme. Dès qu’on l’a vécu, on sait ce que c’est, on peut essayer d’en parler de le décrire à quelqu’un d’autre. Si cette autre personne a vécu aussi un orgasme, alors les mots prendront tout leur sens parce qu’alors cela correspondra à un ressenti relativement voisin (on n’est jamais sûr que l’autre ait exactement la même expérience que nous). De même, il est pratiquement impossible de décrire la saveur d’une orange a celui qui n’en a jamais goûté.

On atteint là à l’intersubjectivité. Rien ne nous dit qu’effectivement les expériences que nous faisons vous et moi sont les mêmes, que le parfum du vin, le goût de l’orange, l’écoute de la musique et le plaisir de l’orgasme sont les mêmes. Mais ils sont suffisamment proches pour que nous puissions partager des représentations, des idées, des ressentis, c’est-à-dire pour que nous puissions communiquer, nous mettre d’accord, pour que nous puissions disposer d’un «nous».

jeudi 15 novembre 2007

Le mythe de l'intériorité


Je voudrais ici développer un point important concernant la notion d’intériorité, à la base de la distinction «intérieur-extérieur» de AQAL, et surtout sur l'idée du «mythe de l'intériorité» qui conteste l'existence de cette intériorité.

Wilber, et avant lui pratiquement tous les philosophes «idéalistes» depuis Descartes, ont distingué la perspective de l’intériorité et celle de l’extériorité. La première est relative aux états mentaux vécus, et la seconde aux objets tels qu’ils nous apparaissent. En fait cette distinction, qui paraît assez naturelle, ne l’est pas pour tous les philosophes. Lorsque j’avais présenté, dans une conférence, cette différence entre intériorité et extériorité, des philosophes m’ont tombé dessus «Vous présentez une vision naïve. La distinction entre intériorité et extériorité a été depuis longtemps rangée aux oubliettes de l’histoire. L’intériorité est un mythe». Cela m’a laissé un peu coi.. d’une part j’imaginais bien qu’il y avait un grand nombres d’auteurs qui avaient remis en cause la notion d’intériorité, et d’autre part je sentais aussi que ce déni d’intériorité ne correspondait pas à la notion développementale proposée par Wilber.

Pour ce dernier, le quadrant «individuel-intérieur» (I-I) correspond essentiellement à la dimension subjective de la vie psychique, par opposition à la dimension objective («individuel-extérieur» ou I-E) telle que peut l’appréhender les neurosciences. Cette dimension subjective comprend non seulement les pensées conscientes, le moi, mais aussi tout ce qui est inconscient et que les différentes psychanalyses ont étudiées (Freud, Jung, Adler, Klein, Fritz, etc..), ainsi que ce qui est au delà du moi, c’est à la dire le « supra-mental » ou Soi, quel que soit le nom qu’on lui donne. Autrement dit, le quadrant I-I correspond en une perspective à la première personne de soi, étudiées par des disciplines telles que la psychologie, la religion et le mysticisme, c’est-à-dire le «spectre de conscience» allant du non-vivant jusqu’à la conscience non-duale, en passant par les sensations, les émotions, les concepts, et ce qui est au-delà du concept, ce que Wilber appelle «Vision-Logic». Il est important de noter que les créatures simples et même les entités non vivantes disposent d’une certaine intériorité, même si celle ci est extrêmement frustre.

En particulier, Wilber reprend le concept de Whitehead de la notion de «prehension» dont le sens normal correspond à celui de préhension en français, mais ici avec un sens différent. La «préhension» c’est la sensation (feeling) du contact d’un objet par un sujet. La capacité de ressentir le contact. Dans le domaine du non vivant, c’est comme si il existait une capacité intérieure à chaque chose à ressentir les influences physiques, champs électromagnétiques, grativationnels et autres, issues d’autres objets, ou plus exactement à percevoir les interactions qui existent entre les objets et le sujet et la transformation d’état qui en résulte. Dans le domaine du vivant, cela correspond à la vision de la cognition telle qu’elle a pu être appréhendée par Maturana et Varela : les capacités cognitives d’un organisme démarrent dès qu’il est possible de constituer une différence entre intérieur et extérieur et que l’organisme tend à maintenir son organisation (autopoïèse) et donc à se distinguer de son environnement en distinguant ce qui est soi du non-soi. Par exemple, les molécules des membranes des cellules sont orientées de telles manières qu’elles ne laissent passer certaines molécules que dans un sens. Cela signifie, et là je dépasse peut être la pensée de Wilber, que les robots ont une intériorité. Travaillant depuis des années sur des robots et des programmes intelligents, je considère qu’effectivement il existe une « intériorité » de ces programmes, surtout lorsqu’il existe un réel « grounding » de cette intériorité en relation avec l’espace, c’est-à-dire si l’entité est réellement capable d’agir et de percevoir son environnement, et si ses états intérieurs sont en relation avec cet environnement. En d’autre termes, un réseau de neurones formels attachés à des capteurs et des actionneurs, dispose d’une intériorité en termes de sensations et de raisonnement. Même si cela est difficile de savoir « comment vit le robot », on se trouve dans une situations où tout se passe comme si effectivement le robot disposait d’une intériorité, comme le monde de la tique analysée par Uexküll

En d’autres termes, tout être vivant dispose d’un monde vécu, d’une Umwelt, c’est-à-dire d’une vision d’une vision du monde (worlview) même si elle est très simpliste, qui est relative à la subjectivité de l’organisme, quel qu’il soit.
Mais en fait la notion même d’intériorité n’a pas toujours été considérée ainsi dans la pensée philosophie, et elle s’est confondue souvent avec introspection. Comme le signale Didier Moulinier sur son site :
Le problème de l'intériorité a longtemps été confondu avec celui de la connaissance du soi intérieur, par exemple sur le mode de l'introspection. D'après la doctrine classique, ce qu'on peut dire de l'intériorité suppose : 1° le caractère essentiellement conscient des phénomènes psychologiques et la transparence de la conscience au regard d'elle-même ; 2° l'indépendance de ces phénomènes vécus au regard du physiologique et du corporel, ce qui les caractérise en général comme "spirituels" ; 3° la nature individuelle et non partageable de ces vécus : raison pour laquelle l'introspection prévaut sur toute objectivation scientifique.

Le reste du texte, malheureusement, est écrit dans le style de l’école phénoménologique française, qui a un facheux penchant pour exprimer de manière compliquée ce qui est très simple à ceux qui ont pratiqué la méditation. Mais l’essentiel est là : lorsqu’on parle d’intériorité et de mythe de l’intériorité, notamment par Jacques Bouveresse (ref. livre), c’est à cette conception de l’intériorité qu’on se réfère, à cette équivalence entre intériorité et introspection, entre subjectivité et conception réflexive du sujet, entre vécu et description du vécu, et non à la simple perspective à la première personne, au «monde vécu» (Umwelt) de von Uexküll.

De ce fait, les critiques de l’intériorité, critiquent en fait l’existence d’un sujet transcendental, d’un sujet qui serait là avant d’exister dans un environnement culturel et matériel. Elles prennent le point de vue existentialiste de Sartre qui considère que du fait que l’existence précède l’essence, la vie psychique est un champ de bataille où s’affrontent un certain nombre de forces (que j’avais appelé «tendances» dans mon livre «Les systèmes multi-agents. Vers une Intelligence Collective») qui, selon lui restent extérieures à nous, même nos pulsions.. Tout cela montre que même Sartre aurait bien eu besoin d’une vision intégrale c’est-à-dire à la fois multi-persectivistes, intégratrices et développementales pour comprendre le rapport entre le moi d’une part et les forces biologiques, culturelles et sociales d’autre part. Effectivement il n’y a pas de moi sans culture et sans environnement. Il n’y a pas d’esprit sans corps, de réflexion sans des possibilités langagières qui ont développées au cours de l’évolution des espèces et de nos cultures humaines. Mais en même temps, nous ne sommes pas des corps vides uniquement mûs par des systèmes mécaniques, définis de l’extérieur, car notre système psychique a été élaboré en contact permanent avec notre environnement. Nous sommes donc à la fois une partie du cosmos, sur le plan neuronal, et en même temps un espace vécu émergent de cette complexité neuronale d’une part et de nos interactions avec le monde et les autres d’autre part.

C’est cette double identité de l’être à la fois comme corps (corps anatomique, corps physiologique, mais aussi corps neuronal) et comme esprit qui fonde profondément non seulement les êtres humains, mais aussi le Kosmos dans son intégralité, comme l’avait déjà très bien vu Spinoza.

samedi 3 novembre 2007

Développement spirituel Intégral


Voici une réflexion personnelle qui date du 4 Juillet 2007 et que j’ai ensuite remanié..

Cette présentation synthétique du développement spirituel vient de lectures (Wilber, sciences cognitives, etc..), des enseignements que j’ai reçu (tantra, bouddhisme, yoga, christianisme, kabbale, etc..) des réflexions, des prises de consciences, et des intuitions...

Le schéma est en fait assez simple :


  1. Le développement spirituel est fondé sur deux piliers : conscience et amour (ou compassion ou relation)

  2. Au niveau le plus haut, au niveau absolu, la conscience correspond à une vision non duale, dans laquelle on constate :
    1. Que l’on appartient à une évolution qui nous dépasse : on est seulement une petite « cellule » dans le grand tout.
    2. Cette évolution est liée à deux mécanismes : différenciation et intégration.
    3. L’amour est la partie qui relie (eros et agape) les êtres à différents niveaux.
    4. Chacun est porteur de lumière (conscience et amour), avec pour « mission » d’avancer dans cette voie et de participer à cette évolution Kosmique (L’Esprit qui se reconnaît lui-même), que l’on pourrait appeler le projet Kosmique, sauf qu’il ne s’agit pas d’un projet. cf. le projet Atman de Wilber.
    5. Au niveau le plus haut, il y a donc à la fois totalement perte de la notion de l’individu comme être séparé, et en même temps union de Soi à Dieu dans un sentiment de liberté fondamental : la vraie liberté c’est d’être le porteur conscient, et engagé du projet de la Vie.

  3. Il est possible de percevoir le Kosmos à son niveau le plus haut (Conscience et amour au niveau non dual).

  4. La prise de conscience de cela est relativement simple à faire intellectuellement. Finalement on a pratiquement tout ce qu’il faut dans le domaine scientifique (physique, biologie, anthropologie, histoire, sociologie, psychologie, philosophie) pour comprendre cela. Mais il ne s’agit pas de le comrpendre intellectuellement, mais de l'appréhender directement.

  5. La notion de soi séparé est liée, entre autre, à un mécanisme neuronal qui tend en permanence à nous faire croire que nous sommes séparés du monde. Que nous sommes distinct des autres choses et êtres. Notre langage aussi, par sa propension à tout voir en termes d’objets, nous y incite.

  6. Au niveau subtile : l’amour divin est vécu comme une gratitude, gratitude envers la Vie, gratitude envers tout ce qui nous entoure..

  7. La mort fait partie du Plan, fait partie de la Vie.. Pour la Vie, la mort n’est rien, qu’un élément du Processus général.. et plus exactement, la mort fait partie de l’aspect regénération et dissolution de la Vie. (La vie comporte deux aspects : un aspect Eros qui est croissance, foisonnement, exubérance,..) et un aspect Thanatos qui est dissolution, régénération par mort et recombinaison. Mais pour le « moi », c’est la peur totale. Comme l’exprime Wilber, une grande partie de notre culture consiste à vouloir jouir de la partie Eros en refusant Thanatos.. Mais en refusant Thanatos, on refuse l’accès aux niveaux transcendants (et en particulier les niveaux subtils et causals).

  8. L’importance de « tout se passe comme si ». Différenciation entre intérieur et extérieur. Analyse des choses de l’extérieur et de l’intérieur.. (pour comprendre cette entrée, lire les autres entrées du blog..)

  9. La voie de la Conscience passe par la décentration, la prise de conscience (awareness), la réalisation (au sens cognitif, « je réalise que ») et donc la méditation et la compréhension ; la voie de l’Amour et de l'énergie passe par l’absorption, la relation, le contact, l’immersion, l’intégration, et donc le mouvement, le corps, les sensations, le vécu immédiat, le rapport à l’autre (empathie, etc..). Les deux sont effectivement reliés à un certain niveau : il y a conscience de l’amour, et réalisation que l’amour entraîne la conscience. L’amour de l’autre est lié à l’empathie qui suppose une certaine appréhension de l’autre (même si au début cette appréhension est inconsciente, comme dans la fusion émotionnelle) et la conscience entraîne la compassion..


La prise de conscience perceptive (conscience) s’effectue par un ensemble de strates de mise à distance, de décentrations, qui nous font réaliser de plus en plus ce que nous sommes. Réaliser correspond en fait à une sorte de perception, une façon de voir les choses qui ne se résume pas à un simple modèle mental.. La spiritualité est un mouvement de développement en général (différences entre étapes et états). Voici quelques étapes importantes dans la vie spirituelle :
  1. Il existe un « autre monde » constitué d’énergies, que l’on peut percevoir éventuellement sous forme d’êtres, d’esprits (entités, divinités, anges, etc..)-Typiquement Violet, mais aussi le niveau Psychique de Wilber, les deux étant relativement liés (le niveau psychique étant le sommet des peak-expérience des Shamans issus d’une culture Violette).

  2. Prise de conscience que nous ne sommes pas le tout : existence d’une transcendence qui nous dépasse et qu’on vit comme un tout autre (Dieu, la Déesse) (niveau Bleu pour la partie dogmatique, et “subtile” pour la partie expériencielle)

  3. Dépassement de l’ego et prise de conscience de l’aspect divin qui existe à l’intérieur de nous.. Malheureusement très facilement repris par l’ego, ce niveau est très « dangereux » s’il n’a pas été nourri par le niveau précédent, s’il n’y a pas une prise de conscience fondamentale que Dieu est aussi totalement le « tout autre » (niveau “subtile”). Débouche sur le vide (et non pas sur « l’autre monde » énérgétique du niveau a, sinon c’est qu’on a récupéré tout cela par l’ego qui est très, très fort..), c’est à dire sur le niveau Causal.. Eventuellement entrée dans le non-dual (mais là je ne crois pas en avoir fait réellement l’expérience... quoique...)

Up from Eden et Atman Project


Up from Eden et Atman Project sont des livres prodigieux, car ils contiennent réellement les pensées originales de K. Wilber. Ce qui permet de mieux comprendre le développement de sa pensée. Surtout que ce livre développe les aspects de base, et les données qui lui ont permis d’étayer son travail.

Il dit une chose très intéressante, sur le rapport entre la culture, le « moi » et la mort. Ce qu’il dit c’est que l’être humain cherche la transcendance, et l’union avec Dieu (sous quelque forme que ce soit), car cela fait partie du processus de développement, du « projet Atman ». L’évolution vers une plus grande conscience est au cœur du processus de croissance. Non pas qu’il y ait une direction précise qui soit donnée, non pas qu’il y ait quelqu’un qui développe chaque barreau de l’échelle de développement d’une manière linéaire, mais simplement que l’accroissement de complexité et la capacité à un certain moment d’apparition de la conscience fait partie directement du processus même d’évolution.

Donc, d’une part, nous avons pratiquement câblé au fond de nous même, sous la forme d’un engramme qui nous pousse à grandir, comme les enfants qui cherchent à être plus grand, mais d’autre part, le développement a justement produit quelque chose de très complexe qui s’appelle le « moi ». Ce moi est fondamental dans le développement de l’évolution, car il permet un certain nombre de choses et de réalisations que les états « pré-ego », ne permettent pas. Mais ce faisant, ce moi constitue à la fois la merveille et l’obstacle du développement. Car ce moi se vit comme séparé des autres moi. Alors que l’animal et le bébé vit dans une sorte d’indifférenciation, l’être humain adulte se vit comme séparé du monde, comme distinct de tout ce qui l’entoure. En fait, c’est cette distinction qui est le produit du développement cognitif (lequel est fondé en premier lieu sur les opérations de distinctions, de classification et de hiérarchisation des classifications, et ensuite sur les opérations d’enchaînement causales (abductives et déductives)).

Mais cette distinction entre soi et le monde a une conséquence importante : le moi ne veut plus mourir, il ne veut plus se laisser aller dans le flux même de la vie. De ce fait, il existe une contradiction et une tension entre d’une part le désir profond de l’individu de s’unir à la Vie, et d’autre part sa résistance due à la peur du moi de mourir. De ce fait, le moi se transforme en ego et il construit un ensemble de substituts symboliques (argent, pouvoir, sexe, biens en tous genres) pour se faire croire à lui-même qu’il est immortel, pour se faire croire à lui-même qu’il est devenu tout puissant, qu’il dirige sa vie, que son corps lui appartient, que ses biens sont « à lui » et qu’il ne peut pas en être déposséder, qu’il est au dessus de la maladie et la mort (qui n’arrivent qu’aux autres).

Ces substituts symboliques sont à la base de ce qu’on appelle la culture, qui prend donc sa source en grande partie dans la constitution d’éléments symboliques permettant au moi de se faire croire qu’il est l’Atman, le Soi.. Comme le dit Wilber (p16 en bas) : « [l’être humain] vit son moi séparé comme étant immortel, central, fondamental, d’une importance totale. De ce fait, il substitue l’ego pour l’Atman. Au lieu de se sentir comme étant la totalité et hors du temps, il substitue le désir de vivre pour toujours, au lieu d’être un avec le cosmos, il substitue le désir le désir de posséder le cosmos, au lieu d’être un avec Dieu, il cherche à jouer à Dieu . De ce fait le projet Atman c’est donc une tentative pour retrouver l’Atman, le Soi, mais une tentative qui en même temps prend le chemin pour empêcher cette reconnaissance du Soi. C’est le désir impossible pour le soi individuel de devenir immortel au centre du cosmos et essentiel au reste du monde (all-important), mais un désir fondé sur une intuition correcte que la proche Nature de chacun est effectivement hors-temps et éternelle. L’Atman project ce n’est malheureusement pas la prise de conscience par l’individu que sa nature la plus profonde est déjà Dieu, infini et éternelle, mais la croyance de l’ego qu’il devrait être Dieu, immortel, niant la mort et tout puissant. En d’autres termes, il y a l’Atman, la nature profonde de chacun, et le Projet Atman, dans lequel le moi voudrait devenir le Soi à lui tout seul.

Le projet Atman est alors à la fois une compensation pour l’apparente (mais en fait illusoire) manque d’Atman, et une pulsion pour essayer consciemment de le recapturer. Il faut donc comprendre deux choses : le projet Atman est un subtitut de l’Atman, mais il contient en même temps une direction pour recapturer l’Atman. Et comme je (KW) vais essayer de le montrer, c’est finalement le projet Atman qui fait avancer l’histoire, fait avancer l’évolution des êtres et des peuples, et fait avancer la psyché individuelle. Et c’est seulement quand le projet Atman arrive à son terme, que le véritable Atman apparaît. C’est aussi la fin de l’histoire, la fin de l’aliénation et la résurrection du super-conscient Tous. »

La mort est alors au centre de ce développement : c’est parce qu’il refuse la mort, que le moi construit tout cet échafaudage qui constitue le projet Atman. Et cet échafaudage, lorsqu’il est partagé par un ensemble de personnes s’appelle la culture. Elle est composée de tout un ensemble de substituts symbolique du Soi (Atman). La Totalité du Soi, qui n’est ni subjective ni objective, mais seulement tout, ne pouvant être réalisée (à cause de la mort de l’ego qui lui est liée), le moi compense par une visée symbolique et subjective visant à faire croire qu’il est le Soi. De ce fait, le moi séparé, est mû par deux forces distinctes et complémentaires : d’une part tenter de perpétuer sa propre existence (Eros) et d’autre part essayer d’éviter tout ce qui peut lui faire craindre la dissolution (Thanatos). Le moi se défend ainsi de toutes ses forces contre sa propre dissolution, sa disparition et son intégration dans quelque chose de plus grand que lui, tout en cherchant à affirmer sa prétention à être au centre du monde, omnipotent et immortel (Eros). Le combat d’Eros contre Thanatos, de la vie contre la mort, c’est le combat de l’affirmation contre la dissolution. Mais du point du vue du moi, l’affirmation du moi, la lutte contre la dissolution devient la Vie (puisqu’il s’identifie à la divinité éternelle), le Bien et la mort devient ce qu’il faut combattre, la Non-Vie, le Mal. Mais cela est une illusion du moi, qui sépare et qui « dualise » les deux principes d’Eros et de Thanatos, Vishnu et Shiva (ou Parvati et Kali) deux forces essentielles et complémentaires du développement humain. Cette lutte d’Eros et de Thanatos constitue la dynamique et la peur fondamentale du moi, lequel s’identifie à Eros (l’affirmation, le rayonnement, la puissance, ..) pour lutter contre Thanatos (l’ombre qui veut dissoudre le moi dans quelque chose de plus grand. C’est ce qu’on appelle parfois la peur « métaphysique » de l’être (qui suis je moi qui vais mourir un jour ?) peur qui ne peut disparaître que lorsque l’individu se dissout dans le grand tout, c’est-à-dire lorsque le moi séparé, l’ego, meurt et se dissout dans le Soi, ce qui est justement sa plus grande peur !!

Le problème c’est que le moi n’arrive pas à se faire passer totalement pour le Soi : lorsque l’individu est malade ou blessé, lorsqu’il perd des biens à cause du « destin », lorsqu’il voit disparaître ses amis, lorsque des êtres chers le quittent, ou qu’il voit effectivement poindre le visage de la mort, alors le masque de l’immortalité et de la toute puissance tombe et il se retrouve seul devant sa propre disparition. C’est la réelle angoisse devant la mort, la peur qui se transforme en effroi : « tu vas mourir !! »

Pour compenser cette peur, le moi, qui est un substitut subjectif du Soi, construit un ensemble de substitut objectifs qui vont lui faire croire pendant un temps qu’il est effectivement immortel et tout puissant : réalisation d’objectifs, possessions, gains, victoires sur les autres, domination, accumulation de richesses qui constituent comme autant de victoires contre la mort. [note : c’est d’ailleurs un des grands thèmes du romantisme que de mettre en jeu des personnages qui luttent contre la mort, lutte bien évidemment vouée à l’échec. Cf. le Septième Sceau où l’on voit un homme qui joue aux échecs contre la mort]. Mais tout cela ne sont effectivement que des substituts, des objets de substitution pour l’ego, pour qu’il croie à sa propre divinité, sa propre immortalité et toute puissance.

Cette manière de penser de Wilber est très parlante d’après moi, car elle permet de relier les aspects culturels aux aspects du développement de conscience individuelle et collective.

jeudi 1 novembre 2007

Michel Onfray, l'athéisme et les églises

Je viens d’écouter Michel Onfray sur France Inter. C’est un philosophe intelligent, qui n’a pas peur de ne pas vivre dans la conformité des philosophes universitaires que je connais et qui passent leur vie à découper des confettis en quatre pour analyser tel philosophe par rapport à tel autre. Au moins M. Onfray a du courage : le courage d’affronter la différence, de transmettre la philosophie et de vivre ce qu’il enseigne, ce qui est vraiment rare. En cela, il reprend réellement la traditions des cyniques et des épicuriens grecs.

Comme le dit la quatrième de couverture de sa contre-histoire de la philosophie : « Le point commun de tous ces individus ? Leur goût d'une sagesse praticable, d'un vocabulaire clair, d'un exposé limpide, d'une théorie à même de produire une vie philosophique. A la manière des sages antiques, tous tournent le dos au langage obscur, à la philosophie pour philosophes, aux discussions de spécialistes, aux sujets professionnels pour faire de la philosophie un art de vivre de bien vivre, de mieux vivre. » En cela, Michel Onfray est bien dans la lignée de tous ces philosophes qui essayent de vivre leur philosophie au jour le jour.
En même temps, et tout à fait logiquement, M. Onfray est un grand athée. Il a vécu certainement le pire du christianisme, en passant son début de l’adolescence dans un pensionnat tenu par des prêtres salésiens. On peut comprendre que finalement toute son œuvre soit l’expression d’une révolte contre le platonisme et donc l’idéalisme, et le christianisme en tant que dogme.

De ce fait, à l’en croire, il n’y a que deux voies possibles : soit celle du Dieu extérieur des grands monothéismes, tels qu’ils ont été traduits par les grandes églises, soit celle de la mort de Dieu, au sens Nietzschéen. L’être humain étant seul devant son propre destin, qu’il doit alors prendre en charge à bras le corps. Michel Onfray a très peur d’un retour du religieux. Il le clame sur tous les tons. Comme l’indique la quatrième de couverture de son Traité d’athéologie :
« Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l'intelligence ; haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d'un seul ; haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin; haine des corps, des désirs, des pulsions. En lieu et place et de tout cela, judaïsme, christianisme et islam défendent : la foi et la croyance, l'obéissance et la soumission, le goût de la mort et la passion de l'au-delà, l'ange asexué et la chasteté, la virginité et la fidélité monogamique, l'épouse et la mère, l'âme e l'esprit. Autant dire la vie crucifiée et le néant célébré? »

Il n’a pas tort, les religions monothéistes patriarcales ont réellement été tout cela. Elles ont professé la haine de la vie au nom de Dieu, elles ont opprimé des peuples, soutenu les colonisations, soutenu l’esclavage. L’Islam a été un modèle d’impérialisme, le Prophète ayant été, entre autre choses, un grand chef de guerre. Le christianisme a soutenu les croisades, permis toutes les atrocités « Dieu reconnaîtra les siens », l’inquisition, et j’en passe. Le Judaïsme a pour lui le fait que les juifs ont surtout été dominé. Mais dès qu’ils ont la possibilité de dominer, comme par exemple dans le cas de la guerre en Palestine, toute la frange traditionnaliste et intégriste du Judaïsme s’est toujours rangée du côté du rejet des non-juifs (mais il faut bien reconnaître que le judaïsme n’a pas eu la même capacité à détruire que l’Islam et le christianisme).

Mais à côté de ces atrocités, il y a aussi tous ces mystiques qui ont rencontré le Divin, et qui ont tenté d’apporter le message de paix et d’amour qui règne au plus profond de cette démarche. Ce sont François d’Assise, Thérèse d’Avila et Maitre Eckhart notamment dans le christianisme, la voie Soufie dans l’Islam, et la kabbale dans le judaïsme. On notera que dans le christianisme, à l’encontre de deux autres monothéisme, il n’y eut pas de voie mystique bien reconnue. Ce ne sont que des individus séparés, qui n’ont pas eu la possibilité, essentiellement à cause des ennuis que leur hiérarchie leur a causé.

Mais malheureusement, Michel Onfray n’a pas une vision réellement historique et développementale des sociétés et des formes religieuses en particulier. Sinon, il aurait noté que le christianisme notamment a introduit une limite au pouvoir individuel. Bien sûr l’église a combattu la liberté et la vie, mais elle a aussi introduit une notion de lois applicable à tous (la loi divine), et lutté contre le pouvoir du plus fort qui était le mode de fonctionnement des sociétés. N’oublions pas que le père était alors tout puissant : le « pater familias » décidait de tout et avait pratiquement pouvoir de vie et de mort sur toute sa famille, que c’est l’église qui a obligé que les époux donnent leur consentement, un avantage par rapport aux pratiques précédentes ou la femme n’avait jamais voix au chapitre. Le christianisme a lutté et interdit l’esclavage. Malheureusement, comme nous le savons, il l’a autorisé contre les noirs africains, qui n’étaient pas considérés comme des êtres humains à part entière, à la différence des indiens d’amérique du sud. (cf. la controverse de Valladolid).

Avant les grandes religions monothéistes, la notion de culpabilité morale n’existe pas : les comportements étaient directs et brutaux. Quand on voulait quelque chose, on le prenait si on avait la possibilité de le faire. Comme si les individus n’avaient pas encore de surmoi : les pulsions du moi égotiques pouvaient s’exprimer sans aucune contrainte morale. Les philosophes grecs et romains sont en fait les arbres qui cachent les forêts de la condition particulièrement brutale de l’humanité dans l’antiquité. Mais l’antiquité, comme tout ce qui a trait au mode de vie d’avant les religions monothéistes a tendance à être idéalisé. On souvent tendance, en particulier dans les cours de philosophie, à prendre les auteurs grecs comme le mode de vie standard des individus, et à croire que la morale Aristotélicienne était partagée par l’ensemble des personnes. Mais ce n’était pas le cas.

N’oublions pas que même à Athène, l’esclavage, le viol et l’ostracisme envers les femmes (qui avaient surtout le droit de se taire) régnaient en maître, et que seuls un petit nombre de mâles (les citoyens) avaient le droit d’influer sur le destin de la cité. Et on ne parle pas des autres cités !! En termes de Spirale Dynamique, l’humanité était alors au stade égocentrique (rouge), celui des dieux de pouvoir et de la puissance pratiquement illimitée des pulsions égotiques.

Les églises monothéistes ont introduit quelque chose de fondamental : la loi morale. Il existe une loi qui est au dessus des humains et qui guide leur comportement. Cette loi est collective et définit un ordre cosmique a priori dans lequel chacun, à condition qu’il suive cette loi, possède sa place. Les pouvoirs individuels ont été limités et les pulsions de possession sexuelle (viol) et des biens (pillages) ont été limités à l’intérieur de la communauté des fidèles. Malheureusement, cette vision n’allait pas jusqu’à prendre en compte ceux qui ne croyaient pas dans le même dieu. Dans ce cas, les pulsions de meurtre, de viol et de pillage étaient autorisées. C’est ce qui s’est passé dans les croisades et c’est ce qui a permis le commerce des esclaves africains. Donc les églises monothéistes ont diminué la violence à l’intérieur de la communauté des fidèles, ou ont essayé de lui donner un visage rituélique (les combats « chevaleresques »), mais on laissé la violence s’exprimer à l’extérieur de cette communauté, auprès des athées, des infidèles, des païens et des gentils. En d’autres termes, on est passé d’une vision égocentrique à une conception dogmatique, ordonnée et culpabilisante du monde (Bleu en termes de SD). Bien entendu, cette vision dogmatique est datée : les freins posés aux pulsions agressives ont aussi tué les penchants hédonistes, les aspirations naturelles à désirer et être désiré dans le respect de l’autre. De ce fait, toutes les appétits à la jouissance corporelle, sexuelle notamment, ont été combattu par les églises qui ont vu dans la sexualité et surtout dans le plaisir la marque de Satan.

Mais cette vision dogmatique a déjà été déboulonnée de son piedestal par le développement de la raison, par l’Esprit des Lumières, et par le développement du corps roi au cours du 20ème siècle. L’hédonisme est déjà présent dans la société. Il suffit de lire les magazines pour constater que la jouissance individuelle règne en maître. Michel Onfray n’a plus besoin vraiment de faire l’apologie de l’athéisme et de l’hédonisme : il domine déjà la société. Il ne fait ainsi que de défoncer des portes grandes ouvertes dans les sociétés développées.
La science, la philosophie, et d’une certaine manière la raison ont déjà eu raison du christianisme dans la plupart des pays occidentaux (avec l’exception notable des Etats Unis, mais j’y reviendrais dans un autre post).

Effectivement, l’Islam en France pose un problème, car son développement, surtout dans sa frange intégriste, nous fait revenir au dogmatisme. De ce fait, l’Islam pose réellement un problème, et il faudrait que les islamistes modérés fassent encore plus entendre leur voie, pour qu’il y ait réellement un dépassement de la vision dogmatique classique, pour éviter que cet Islam qui se développe dans les pays avancés ne cause une régression. En même temps, il est important que cette évolution soit effectuée de l’intérieur, c’est-à-dire par des musulmans modérés, car lorsque l’Islam est critiqué par un non-musulman, cela est vécu comme une attaque de l’extérieur, ce qui tend à renforcer encore plus la crispation traditionaliste et intégriste. Juste une appartée : il est clair que ce ne sont ni le Christ, ni Mohammed qui sont la cause du dogmatisme, bien au contraire.. Ils ont apporté un message d’ouverture, d’amour et de développement de soi. Mais les églises chrétiennes comme l’Islam ont (sauf à la marge) interprété ce message avec rigidité, sans comprendre réellement le sens des paroles des ces grands initiés. Malheureusement, il faut avoir soi même déjà suffisamment avancé dans la voie spirituelle pour comprendre ces messages avec toute l’élévation qui s’y trouve, et qui est généralement en désaccord complet avec les traditions religieuses des églises institutionnelles.

Donc Michel Onfray se trompe d’ennemis et sa position aurait été utile au début du XXème siècle. Il frappe un agonisant, le christianisme, alors que la critique actuelle devrait au contraire porter sur l’hédonisme, sur l’individualisme et sur le matérialisme. Non pas pour revenir à une vision dogmatique, mais au contraire pour faire évoluer l’individu vers une conception qui intègre l’individu et le collectif, et qui ré-intègre la spiritualité comme contemplation et vécu de ce qui nous dépasse