jeudi 16 octobre 2008

Andrew Cohen à 50%


J’aime beaucoup les enseignements d’Andrew Cohen, mais à 50%. Andrew Cohen est un enseignement spirituel, fondateur de la revue “what is enlightment” (appelée maintenant “Enlightment Next” qui propose une voie spirituelle qu’il appelle l’éveil évolutif. Pour simplifier l’éveil évolutif c’est l’idée que nous sommes responsable du monde futur, car le monde futur se crée maintenant.
Si nous contemplons l’évolution du monde dans une perspective cosmique, on ne peut que sentir appelé à se réveiller, à vivre pour une raison qui nous dépasse totalement, pour devenir un véhicule puissant d’une potentialité humaine qui nous dépasse. On découvre qu’il est effectivement possible d’être l’expression de cette potentialité illimitée et alors on s’aperçoit que la seule voie pour impacter notre futur collectif c’est de s’éveiller – et devenir – le Soi authentique, cette part de nous même qui désire que nous soyons plus conscient, et qui c’est le cosmos lui-même qui évolue. [Texte tiré de l’un de ses enseignements].

Globalement, je suis assez d’accord: nous ne somme qu’un véhicule de la Vie qui se cherche au travers de notre évolution de conscience.. C’est d’ailleurs très exactement la perception que l’on a du point de vue Turquoise, ou “holonique” dans la Spirale Dynamique ou AQAL de Wilber. Cela revient à ressentir profondément que nous faisons partie de quelque chose qui, à la fois nous constitue, et a besoin de notre conscience la plus haute pour progresser dans son évolution. En d’autres termes, nous sommes au service de la Vie, cadre indépassable de notre existence, qui nous a créé, qui fait partie de nous et qui, au plus profond de nous même, nous pousse à grandir à devenir de plus en plus conscient de ce que nous sommes, mais qui se heurte à la part luciférienne de chacun, l’ego qui, en nous faisant vivre dans la dualité, nous donne l’impression que nous sommes séparés les uns des autres, que nous n’avons de compte à rendre à personne, et surtout pas à la Vie, et qui se trouve à la source de notre orgueil et de notre vision centrée sur nous-mêmes.

Mais dans cette approche, à laquelle je souscrit totalement dans ses grandes lignes, je trouve qu’il y a un certain dogmatisme (j’ai raison et les autres ont tort) qui peut donner l’impression d’une part qu’il n’existe qu’une seule voie (une valeur très Bleue dans la Spirale) et que d’autre part cette voie est radicalement différente des autres (distinction très Orange) alors qu’en fait, bon nombre d'éléments dont il parle font en fait partie de la plupart des voies spirituelles plus “classiques” pourrait-on dire. Quelques exemples:
  1. Il s’extasie de l’apparition d’une conscience collective auprès de ses étudiants qui dépasse chacun des individus et qu’il appelle “nous collectif”. Or cette conscience collective rappelle beaucoup ce qu’on appelle souvent “Egregor” et qui correspond effectivement au sentiment de vivre comme faisant partie d’une seule conscience collective. On la rencontre dans les écrits des premiers chrétiens comme dans ceux de la franc-maçonnerie, et cela fait partie de l’expérience commune de toutes les communautés spirituelles, lorsque chacun commence à se mettre au service de ce tout..
  2. Sa vision du Soi authentique correspond totalement à l’équation Brahman (ou Soi collectif, Dieu âme du monde, totalité, Vie, etc..) = Atman (ou Soi vécu du point de vue individuel). En gros cette idée du Soi qui se trouve être en même temps ce qui se situe à la racine de toutes choses, et l’être qui nous guide intérieurement, se retrouve dans les écrits Hindous comme dans les écrits les plus profonds de Carl Jung.
J'ai parfois l’impression qu’Andrew Cohen a créé une sorte de synthèse de l’hindouisme (l’ego est ce qui fait obstacle pour accéder à la transcendance, importance de la méditation, Atman=Brahman, etc.) et du protestantisme. Pour cette dernière, cela peut paraître bizarre car Andrew Cohen est juif d’origine, mais sa vision de l’individu qui se sacrifie au profit d’une oeuvre plus grande qu’elle et, que par sa pratique, il accomplisse les desseins de Dieu en travaillant à sa gloire (et ce faisant à son propre salut) sont caractéristiques du protestantisme (j’utilise d’ailleurs ici les termes du protestantisme plutôt que ceux d’Andrew). De plus, cet engagement individuel profond que chacun se doit d’avoir envers l’Eveil Evolutif (s’il ne le fait pas, c’est qu’il est encore dans les pièges de l’ego), est vécu comme un acte héroïque. Comme il l’écrit:
Ce monde plein de détresse ne pourra réellement changer que si l’individu accepte d’aller au-delà de l’aspect personnel d’une manière rien moins qu’héroïque. Une attitude moins radicale nous permettra de demeurer dans un état où nous voulons toujours quelque chose pour nous-mêmes –comme un mendiant qui mène une existence torturée, dans un état de manque perpétuel. C’est de cette manière que la plupart d’entre nous sont prêts à vivre leur vie.
Cet engagement est donc un acte héroique, et l’on entre dans cette voie comme un moine-soldat! Pourtant il existe d’autres voies pour à la fois dépasser les conditionnements de son ego et participer à l’oeuvre divine, voies que l’on rencontre dans toutes les grandes religions, Bouddhisme, Judaïsme, Christianisme, Islam et Hindouisme, certaines mettant plus l’accent sur des pratiques individuelles, d’autres sur l’importance d’agir dans le monde, même si ces religions opèrent traditionnellement à partir d’un niveau normatif Bleu.

Travailler à l'évolution positive du monde, c'est bien: il est clair que nous avons besoin de toutes les forces de conscience et d'âme sur cette planète si nous voulons que le monde prenne une autre direction que celle dans laquelle elle se trouve. Cela n'est pas nouveau, pratiquement tous les “créatifs culturels” (essentiellement des personnes de niveau empathique-pluraliste Vert) pensent, et agissent, selon cette perspective. Mais il veut aller plus loin. Sans vraiment nous dire comment, il nous dit: “Nous avons une responsibilité envers l'évolution de la race humaine”. En le lisant, nous ressentons au fond de nous une vague d'énergie: levons nous pour construire un monde meilleur, pensons nous. Et ça c'est justement un des pièges de l'ego: croire que sans nous le monde va à la dérive et que nous serons les sauveurs du monde. Quelques prophètes ont pu dire cela de manère authentique, et leur vie n'a pas été de tout repos.. Pour les autres, c'est juste entrer dans la pathologie du “messie”. Mais l'ego ne se situe pas que dans les individus, il loge aussi dans les groupes, les communautés qui pensent qu'elles ont la vérité et que les autres sont dans l'erreur. C'est l'ego collectifqui prétend ainsi, avec une certaine dose de conformisme (Bleu) qu'il est possible pour un groupe de sauver le monde, autre manière de prétendre être les élus.

Le monde aujourd'hui n'a pas besoin de sauveurs mais de guides bienveillants qui aide le monde à avancer, en l'interpellant avec fermeté soit, mais aussi en se penchant sur lui avec amour, avec compassion. Or c'est justement sur ce point que je pense que l’approche d’Andrew Cohen pêche le plus. Il manque à son système de développement spirituel la moitié de l’histoire, à savoir le féminin dans toutes ses dimensions d’extase, d’amour, et de compassion, féminin qui apparaît comme totalement absent de son enseignement, voire explicitement rejeté.

En effet, il ne se réfère jamais (mais alors jamais!) à des notions telles que l’amour, la compassion, et encore moins la sensualité, le plaisir et l’extase. Andrew Cohen est un guerrier: il suffit de le voir taper sur sa batterie (c’est effectivement un très bon batteur de Jazz-fusion) pour sentir l’énergie acérée qu’il déploie. Je n’ai rien contre le fait qu’il existe une voie qui mette en avant l’héroïsme, le sacrifice et la conscience (au passage, on notera que l’héroïsme au service d’une cause et le sacrifice sont des notions Bleues et non Turquoise. Au niveau Turquoise on ne sacrifie pas l’ego au profit d’une cause ou d’un collectif, on se perçoit dans le flux de la Vie, et il n’y a aucun effort à faire!) mais je récuse le fait qu'il n'y ait que cette voie, et qu'elle passe par l'effort et l'héroïsme!! Je comprend la réticence qu’il puisse avoir à parler d’amour, de compassion et d’ouverture du coeur, car ce sont des termes qui ont été énormément repris par le monde post-moderne (niveau Empathique-Pluraliste, Vert de la Spirale). Sauf que Vert fait l’expérience de l’amour et de la compassion à partir du moi (de l’ego) et non du Soi. Si Vert est le premier niveau de l’empathie (“je me mets à ta place” en conscience) il vit parfois l’amour comme une sorte de grande tendresse à prodiguer à tout un chacun: “amour et lumière, je te fais un hug et je suis bien dans tes bras”, voire avec une tendance assez narcissique de l’amour (“Je suis quelqu’un de bien parce que je fais preuve d’amour et de compassion”).

L’amour, aux niveaux supérieurs (l'Agapé christique dont parlent J.-Y. Leloup et C. Bensaïd dans leur livre Qui aime quand je t'aime?), c’est simplement le ressenti d’un élan total, vécu comme une sorte de courant ou de flux qui envahit le coeur et déborde au dehors, emplissant le monde d’un amour total envers tout ce qui vit, un amour qui est une sorte de grand amour maternel ou paternel envers les autres (même les ennemis dans ce cas) et l’ensemble de ce qui constitue la Vie.. Comme le disent les mystiques, on ne sent plus dans ce cas que c'est nous qui aimons, mais que c'est l'amour qui nous traverse et nous fait aimer les autres en nous rendant humble devant tout ce qui est. On ne ressent plus l'amour comme venant de nous, mais comme s'il venait de la Vie elle-même. C’est pourquoi les grands maître spirituels parlent d’amour et de compassion, voire d’amour inconditionnel, sentiment vécu au delà de l’ego.

Le manque de féminin dans l'Eveil Evolutif se fait particulièrement sentir dans le rapport à la sexualité, aux plaisirs, et d'une manière générale au manque de corps et de sensualité dans sa méthode.. car, comme un vrai protestant (ou un vrai brahmane d'ailleurs), il pense que tout cela est un obstacle vers l'éveil.

Ainsi, en éliminant les qualités féminines du rapport au corps, de l’amour et de la compassion, du plaisir et de la sexualité sacrée, Andrew Cohen se prive, d’après moi, d’aspects fondamentaux des niveaux supérieurs et d’accès à des dimensions allant au delà de l’ego pour l’intégralité de l’être. En même temps, comme je souscrit totalement d'une part à l’idée de l'évolution et d'autre part à celle de l'action individuelle et collective pour agir dans le sens d’une plus grande conscience, j’aime vraiment Andrew Cohen... mais à 50%... et c’est toujours avec plaisir que je lis sa revue ou que je rencontre des adeptes de l'Eveil Evolutif, car j'apprend toujours beaucoup de choses à leur contact.

mercredi 15 octobre 2008

Education et développement: adapter son autorité au stade de l'enfant


« Ça suffit maintenant, je te l’ai déjà dit, tu ne touches pas à ce tiroir. Mais c’est pas vrai, tu m’écoutes quand je te parle ? ». Il n’écoute rien, il me cherche, il me provoque : tels sont les mots que l’on entend souvent dans la bouche des parents ou des professionnels de la petite enfance qui ont en charge des enfants de 0 à 6 ans.

On a beau dire, redire et expliquer, il est difficile de leur faire entendre raison. Qu’ont-ils donc dans la tête, ces petits ? Que comprennent-ils de ce qu’on leur demande ou de ce qu’on leur explique ? La réponse à cette question n’est pas aussi simple qu’il y paraît pour deux raisons : d’une part, on n’a pas accès à leurs représentations intérieures mais juste à leurs comportements, d’autre part, notre regard est filtré et déformé par notre propre manière de voir le monde que l’on projette sur l’enfant. En fait, il se révèle aussi difficile pour un adulte de se mettre dans la peau d’un petit enfant que pour un habitant du XXIème siècle de s’imaginer les croyances et les pensées des habitants du Moyen-âge… C’est une étape de développement par laquelle l’individu comme la société sont passés, il y a longtemps, mais qui a été « recouverte » par de nombreuses expériences et compétences. Cette difficulté est source d’attitudes parfois inadaptées chez les parents ou professionnels : des exigences trop fortes ou brutales ou à l’inverse un environnement surprotecteur qui, dans les deux cas, freinent le développement de l’enfant et épuisent l’adulte.

Pour accompagner au mieux l’enfant dans cette maturation, il est donc essentiel de trouver des repères. Le modèle intégral de Wilber ou celui de la spirale dynamique se révèle particulièrement pertinent pour mieux appréhender les besoins et les ressources de l’enfant en fonction de son âge car il décrit les étapes de développement qui apparaissent de façon progressive et ordonnée chez l’être humain. Il s’inscrit dans une perspective développementale, dans la lignée de J. Piaget (compétences cognitives) ou Kohlberg (compétences morales).
L’être humain est un être en développement dont les besoins et les capacités évoluent. Cette évolution s’articule autour de deux axes :
  • D'une part, la capacité à devenir de plus en plus soi-même, unique et singulier (l'axe de la singularisation)
  • D'autre part, la capacité à se socialiser (l'axe de la relation)
Les stades de développement se situent alternativement sur un axe et sur l’autre dans un mouvement de spirale comme le montre la figure ci-contre.

Le stade instinctif

De sa naissance à environ 5 mois, le bébé est mû par l’instinct de survie. Ce premier stade se situe sur l’axe de la singularisation : En effet, à sa naissance, le bébé devient un être physique différencié qui reçoit un nom. Le cordon ombilical est coupé et le voici sorti de la matrice nourricière qui lui fournissait chaleur, confort et nourriture. Il lui faut désormais s’exprimer par lui-même pour survivre. Cette étape est particulièrement périlleuse dans le développement car le bébé dépend entièrement de son entourage pour survivre et n’a pour s’exprimer que des moyens rudimentaires : pleurs, cris, hurlements, tension, détente, sourire aux anges... Il est dans une étape de « toute-vulnérabilité ».
Ce premier stade correspond aux premières phases du stade sensori-moteur de Piaget. Les mouvements sont des actions réflexes. Le bébé cherche à satisfaire ses besoins de façon très instinctuelle : il sait téter, trouver le sein et son pouce et cherche la chaleur et les contours enveloppants. Il réagit aux stimuli environnementaux mais n’a pas conscience de soi ni d’autrui, il ne fait pas de distinction entre lui et le monde. Il a besoin de se sentir enveloppé. Sa relation au monde est principalement kinesthésique et la manière dont on le touche, le prend dans les bras, et le nourrit est essentielle comme l’ont montré les recherches et expériences en haptonomie.

Le stade fusionnel

Le stade fusionnel dure environ de 4 mois à 2 ans. Le bébé réalise progressivement la différence entre le monde physique qui se trouve « au dehors » et son existence propre : il reconnaît ses mains et ses pieds comme faisant partie de son Moi physique distinct du monde extérieur. Cependant, il reste en fusion émotionnelle avec son entourage, et plus particulièrement avec sa mère : il croit que le monde ressent ce qu’il ressent, veut ce qu’il veut, voit ce qu’il voit. L’enfant projette également ses sentiments sur les choses qui ont des intentions : le doudou est gentil car il console, et la chaise est méchante car elle fait mal. C’est l’âge de la peur du noir, des cauchemars. Tout peut devenir source d’enchantement mais également d’épouvante.
Cette étape correspond à un approfondissement du stade sensori-moteur défini par Piaget. La perception du monde reste surtout sensorielle mais l’enfant interagit de façon plus élaborée avec le monde : il prend des objets de façon intentionnelle grâce à la coordination entre vision et préhension, teste les effets de ses actes (la fameuse petite cuillère jetée pas terre des dizaines de fois…) et en fait même varier les facteurs (la jeter en l’air, devant, derrière…). Il commence à marcher, son territoire s’agrandit et il gagne en autonomie. Il entre dans une phase « ambivalente » où il alterne la demande de bras protecteurs et la volonté de s’aventurer tout seul dans un monde qui l’attire.
L’enfant se bâtit progressivement une sécurité intérieure même quand la figure réelle de la protection n’est pas présente. Il a besoin d’objets transitionnels (le fameux « doudou »), de rituels d’endormissement ou de séparation pour favoriser une sécurité intérieure qui l’accompagne et le soutienne dans son exploration du monde.

Le stade égocentrique

Entre 2 et 5 ans environ, l’enfant traverse une étape égocentrique dans laquelle il découvre le courage de s’affirmer et le plaisir d’obtenir satisfaction. C’est l’émergence du Moi Psychique, la prise de conscience d’être ‘Je’… Ce stade correspond au stade préopératoire décrit par Piaget. L’enfant peut penser à quelque chose sans que la chose soit présente, imiter une action en différé : il appréhende le monde au travers des symboles. Mais sa perception égocentrique limite sa compréhension du monde : il croit que tout a été fabriqué par les êtres humains (artificialisme), il mélange les lois physiques et les lois morales (ex : les bateaux flottent parce qu’ils sont gentils), il croit les évènements ont un but (ex : les nuages avancent dans le ciel pour apporter la pluie).
L’enfant peut affirmer une chose et son contraire sans pour autant être gêné par l’incohérence. Son affirmation est très impulsive et peu réceptive à la raison et à la morale. Il tente d’imposer ses désirs par la force et de faire céder son entourage. Il supporte mal la frustration et déteste que le monde (et les autres !) lui résiste ! Il teste sa force, sa puissance émotionnelle mais également ses pouvoirs magiques... Son monde est rempli de héros qui, eux, peuvent changer les règles de la nature ou les règles sociales quand ils le veulent…
Comment passer ce cap difficile ? L’enfant de cet âge est, comme on l’a vu, peu accessible à la raison et à la morale. Aussi, est-il inefficace de s’évertuer à lui expliquer en détails le pourquoi des règles. L’enfant a besoin que sa puissance d’affirmation soit reconnue et valorisée et en même temps l’adulte doit canaliser cette puissance pour éviter qu’elle ne blesse. La tâche n’est pas si difficile que cela car l’adulte a des ressources bien supérieures à celles de l’enfant : sa force physique et son intelligence. Si l’enfant a besoin de bouger, de sauter, de crier, super ! mais dehors ou dans un coin autorisé, s’il veut frapper super ! si c’est sur l’oreiller ou le ballon, s’il veut mordre super ! mais dans la pomme. C’est l’approche de l’aikido : il ne s’agit pas de « casser » ou de bloquer la puissance de l’enfant car elle est essentielle à son développement, mais de la canaliser.

Le stade normatif
Le quatrième stade de développement est le stade normatif que l’enfant traverse entre 5 et 9 ans environ. Il répond au besoin d’appartenance à un ordre collectif qui canalise les pulsions et pacifient les relations. L’enfant reste très impulsif et ses pulsions se heurtent régulièrement, et parfois avec fracas, aux lois physiques (le feu brûle, les objets tombent, le temps passe sans qu’on puisse revenir en arrière…) et aux lois sociales portées par les adultes (on fait attention aux autres, on attend, on partage…). Il cherche l’apaisement apporté par un monde ordonné et protecteur dans lequel chacun a une place et un rôle à jouer. L’enfant se réfère aux personnes dont le statut est au dessus du sien (parents, enseignants, éducateurs…) pour savoir ce qui est bien ou mal, interdit ou autorisé. La parole des adultes devient la référence : « papa a dit que », « la maîtresse a dit que… ». Il accepte de jouer son rôle d’enfant dans une pièce écrite et mise en scène par les adultes et s’assure que les autres respectent autant que lui ce qui correspond à leur rôle. Il accepte de plus en plus de lâcher les bénéfices de la domination et devient sensible au respect des règles. Il est même parfois plus royaliste que le roi : il s’offusque lorsque l’on change le texte d’un conte qu’il connaît par cœur et dénonce avec véhémence des infractions aux règles posées par les adultes. Cette progression psychique correspond au passage du « deux au trois », du duel basé sur le rapport de forces à des relations avec un tiers, régies par des valeurs et des règles « venues d’en haut » et auxquelles chacun se doit d’obéir.
Les repères ainsi donnés lui permettent de déposer les armes et de s’intégrer dans un univers structuré et prévisible dans lequel il peut apprendre. Plutôt que de limites, ce dont a besoin l’enfant à ce stade, c’est d’ordre et de repères dans l’espace, le temps, les rôles de chacun. L’adulte l’aide en restant présent, bienveillant et ferme lorsque l’enfant est débordé par ses pulsions et ses émotions. Il peut le contenir physiquement avec bienveillance pour le protéger ou l’empêcher de nuire et plutôt que de dire « je ne suis pas d’accord, ça n’est pas possible » qui sont des expressions négatives qui restent focalisées sur « l’objet interdit », il peut guider son attention vers d’autres objets ou d’autres évènements afin de l’aider à traverser la frustration. A cet âge là, l’enfant passe encore très facilement d’un intérêt à un autre, d’une émotion à une autre, ce qui facilite sa guidance.

Comme on le voit jusqu’à présent, dans les différentes étapes présentées, la raison n’est pas encore réellement présente. Et pour cause car les capacités logiques et rationnelles ne s’acquièrent que progressivement. Ce n’est que vers 7-8 ans que l’enfant acquière une pensée plus argumentée et cohérente, et notamment qu’il cherchera à comprendre les raisons pour lesquelles quelque chose est interdit ou demandé. C’est en effet dans le courant suivant, rationnel et individualiste, l’enfant s’interroge de plus en plus sur le monde, devient plus logique et détecte les incohérences. Les explications l’aident à comprendre et accepter les lois physiques et sociales. Et c’est encore plus tard, vers l’âge de 11-12 ans qu’il développera éventuellement l’empathie.

Plus l’adulte prend en compte les capacités de l’enfant, plus son autorité devient efficace et bientraitante. Il aide l’enfant à consolider les ressources que chaque étape lui apporte et il peut accompagner plus sereinement les passages d’un stade à l’autre, moments de « crise » où l’enfant aimerait tout à la fois grandir et rester petit…

Véronique Guérin

Une version légèrement raccourcie de cet article a été publiée dans non-violence actualité..