mercredi 28 mai 2008

Société et thérapie : de la névrose à la conscience…


Chaque société transmet des valeurs, des croyances et des comportements et l’environnement familial et culturel structure le développement psychisme de l’individu : il peut générer des blocages mais également soigner des dysfonctionnements.

Pour mieux comprendre les enjeux actuels concernant la santé psychique, regardons de plus près le regard que la société lui porte au cours du XXème siècle. Jusqu’au début du XXème siècle, la société occidentale est normative (niveau Bleu de la Spirale) : elle assigne à chacun une place en fonction de son sexe et sa naissance et différencie clairement le Bien du Mal. L’individu doit se plier à la morale collective et se mouler dans la place qui lui est réservée. Cet environnement sociétal apporte une stabilité sécurisante et favorise un sentiment d’appartenance et de protection. En revanche, en punissant tout comportement qui met en cause « l’ordre social », il génère du refoulement : les sensations, émotions et pensées de l’individu qui ne rentrent pas dans le « moule » sont réprimées. Le déséquilibre psychique qui en découle est la névrose, à savoir un conflit psychique refoulé. L’individu est coupé en deux : il laisse voir ce qui est acceptable et cache ce qui est honteux. L’énergie psychique est inhibée et s’exprime sous forme pathologique : obsessions, phobies, transgressions… La prise en charge psychologique qui jusqu’alors était du ressort des religieux (exorcisme, confession…) passe dans les mains de la psychanalyse qui accompagne la prise de conscience des refoulements pour sortir des blocages.

Puis, au cours du 20ème siècle, la société normative fait place progressivement à une société de plus en plus rationnelle (niveau Orange de la Spirale) qui ne souhaite plus uniquement des citoyens obéissants se conformant aux valeurs et croyances collectives, mais des personnes instruites, qui développent une réflexion individuelle leur permettant de penser et même de voter ! La société se veut plus juste et égalitaire. Chacun est invité à évoluer (le fameux ascenseur social), à questionner et à réfuter les savoirs et hypothèses à coups d’argumentations pour démêler le vrai du faux, et à faire évoluer les savoirs et l’organisation de la société. On se réfère non plus à une Vérité révélée mais à une vérité objective qui s’accorde avec les faits observés. Du coup, l’énergie psychique est mobilisée pour réussir, la curiosité de l’être humain peut s’exercer sans être brimée, on peut apprendre, comprendre, agir. C’est une première libération : lorsque les faits observés sont en conflit avec sa conception du monde, on cherche à comprendre. Mais l’avènement d’une société rationnelle et individualiste a apporté aussi quelques maux : d’une part, l’obsession de l’autonomie a mis à mal le sentiment d’appartenance, réduit les liens interpersonnels et sociaux et donc généré de la solitude ; d’autre part, la focalisation sur la compétition et la réussite individuelle, a engendré du stress et de la dépression. En effet, dans une société ou la compétition est ouverte à tous, où aucune porte n’est fermée a priori, on se doit de réussir pour être reconnu et l’on se sent responsable de ses échecs scolaires, professionnels ou même affectifs. L’individu se retrouve alors embarqué dans une course en solitaire, dans un besoin de reconnaissance jamais satisfait et une perte du sens de sa vie. Dans une société rationnelle, ces « crises » sont interprétées comme un dysfonctionnement de l’appareil psychique qu’il s’agit de réparer, une pathologie dont le diagnostic et le soin sont du ressort de la psychiatrie.

Le troisième courant, pluraliste-empathique (niveau Vert dans la Spirale), qui a vu le jour à la fin des années soixante, ne réduit plus l’individu à un « objet d’étude » qu’il faut analyser mais appréhende la personne dans sa globalité, sa subjectivité et son développement. La santé psychique consiste à devenir plus conscient de son état intérieur. Il ne s’agit plus de trouver la vérité objective mais d’être vrai, de mettre en accord et en cohérence son intériorité et ses actes sans se juger. Les sensations, émotions et pensées sont mises en lumière de manière à résoudre les dissonances et conflits psychiques. En acceptant sa propre subjectivité, on développe, du coup, l’empathie qui consiste à imaginer le point de vue d’autrui et à ressentir son intériorité. Cette vision de la santé psychique est issue de la psychologie humaniste, et non plus de la pathologie, invite à prendre soin de soi et des autres, sans attendre d’être malade ! Cependant, la nouvelle génération est moins névrosée mais plus intolérante à la frustration et dépendante de ses pulsions. La peur de blesser l’intériorité de l’enfant, le désir qu’il choisisse sa vie en conscience dès le plus jeune âge, la confusion entre frustration et souffrance génèrent nombre de « nourrissons géants », comme les appelle B. Cyrulnik, angoissés, hyperactifs, à la recherche de « doudous » sécurisants (conduites addictives) ou de sensations fortes (conduites à risques). Chaque culture a donc ses maux…

Ces trois visions du monde (normative, rationnelle et empathique) éclairent les conflits actuels sur la santé psychique, en particulier, en France, où une culture hyper rationnelle a induit une forte méfiance vis-à-vis des pratiques thérapeutiques intégrant le toucher, les émotions ou la spiritualité. Seule la psychanalyse est tolérée, du fait sans doute de son antériorité et de la prédominance donnée au verbe. Pourtant, ces trois visions, loin de s’opposer, viennent chacune apporter un élément essentiel à la santé psychique : la culture normative donne des repères collectifs clairs sur les comportements autorisés ou non, la culture rationnelle permet de soigner les pathologies psychiques et, enfin, la culture empathique favorise la connaissance de soi et l’empathie envers autrui, compétences essentielles au développement psychique sain L’enjeu actuel consiste à sortir de ces oppositions réductrices et épuisantes pour articuler avec souplesse leurs apports respectifs. Il en va de la santé psychique de chacun et de la société dans son ensemble !

Une première version de cet article a été publiée en 2007 dans Non Violence Actualité.

vendredi 16 mai 2008

Sarcelle ou jaune?


Je viens de recevoir le livre de K. Wilber intitulé "livre de la vision intégrale" de Ken Wilber. C’est la traduction en français de son livre Integral Vision. Mise à part la couverture laide à pleurer, avec une photo de Wilber qui date de plus de 10 ans, il est très bien traduit. C'est donc une très bonne introduction à la pensée intégrale, même cela donne peut être une vision relativement superficielle de la pensée intégrale. J'ai peur que ceux qui s'y intéressent prennent le livre croient que la vision intégrale se résume pas à AQAL, et qu'ils ne voient pas toutes les conséquences de cette forme de pensée..

Mais j'attendais surtout ce livre pour savoir comment ils traduiraient la couleur « teal » en anglais, sorte de vert canard avec un peu de bleu.. Ils ont trouvé la solution. Les traducteurs, Maurice Brasher et Myriam Mara, ont trouvé: il s’agit de la couleur « bleu sarcelle » (que l’on peut aussi appeler « sarcelle » tout court). J’ai regardé dans des nuanciers et effectivement cette couleur existe.


Néanmons, je persiste à penser qu’il y a eu une grave erreur dans le système de Wilber lorsqu’il a utilisé la couleur teal pour parler du niveau jaune de la spirale (niveau appelé aussi early vision logic dans les écrits plus anciens de Wilber). Puisque même en anglais, teal, ce n’est pas une couleur très parlante, il a centré le niveau Integral quelque part entre teal (ou Jaune pour la Spirale) et turquoise.

De ce fait on peut se poser une question: qu’est ce qu’un stade? Le nombre de stades est il fixe ou non? Finalement pour Wilber ce n’est pas très important qu’il y ait 4, 6, 8 ou 12 niveaux dans le développement. Pour lui le développement est continu et les phases se suivent les unes aux autres sans rupture.. En même temps, il est bien conscient que certains développements, par exemple de Bleu à Orange ou d’Orange à Vert, ne se passent pas si facilement que ça.. De ce fait, ces stades peuvent être considérés comme relativement stables. D’autre part, et là je le porte au crédit de la Spirale Dynamique, les stades de développement correspondent aussi à une perspective plus individuelle ou plus collective. Il y a un balancier entre valeurs centrées sur l’individu ou sur le collectif (ce que la Spirale appelle le sacrifice de soi). Dans le cadre de la Spirale Dynamique, le nombre de niveaux est donc bien défini, et c’est pourquoi on peut parler de balancier lors d’un passage d’un niveau à l’autre.

Inversement, on pourrait dire que la Spirale a dû mettre en avant des niveaux intermédiaires (par exemple BLEU, BLEU-orange, bleu-ORANGE, ORANGE) pour caractériser des transitions du passage de Bleu à Orange. Mais ces transitions sont plus le résultats d’intuitions que d’études très sérieuses (Note: si de nombreuses études ont été faites sur le développement individuel et collectif, toutes les études portant sur la Spirale Dynamique elle-même datent de Clare Graves et maintenant de C. Cowan.. On ne peut pas dire que les critères de scientificité soient réellemet satisfaits (pas d’études réalisées par d’autres auteurs, pas de publications dans des revues ou conférences scientifiques évaluées par des pairs, etc... C’est pourquoi la Spirale a en fait, du point de vue scientifique, la valeur des modèles de Management, c’est à dire une valeur assez faible dans le champ scientifique. Ce qui n’enlève d’après moi aucune valeur à la Spirale, mais réduit un peu les affirmations tapageuses de certains évangélistes de la Spirale, et de Cowan en particulier).

De ce fait, la question demeure: au delà des appellations (Jaune ou Sarcelle/Teal) le nombre de stades est il fixe, ou bien les développements s’effectuent ils de manière continue?

mardi 6 mai 2008

Sur la méditation et la phénoménologie #1 : le cogito


Ce petit texte constitue une sorte d’essai (au sens propre du terme, c’est vraiment un "essai" pas quelque chose de fini ni de définitif), de compréhension simple de la philosophie Husserlienne. C’est en lisant "Méditations Cartésiennes" que je me suis rendu compte que Husserl essayait de rendre compte d'une intuition et d'une perception que l'on peut avoir lorsqu'on a fait suffisamment de méditation pour distinguer le Témoin de l'ego, et en d'autres termes de distinguer l'ego transcendantal (au sens de Husserl) de la personnalité et des pensées associées.

Le problème quand on étudie la phénoménologie Husserlienne et qu’on n’a pas fait de méditation, c’est qu’on passe d’après moi, assez à côté du propos de Husserl. Ce qu’il faut comprendre d’abord, c’est que les grands philosophes ont souvent une intuition forte de quelque chose de très important, et qu’ils passent ensuite toute leur vie à essayer de décrire cette intuition en termes philosophiques et ordinaires. Par exemple, il est clair que Descartes, lorsqu’il a eu l’intuition du "cogito", ce fut une révélation, une expérience mystique. C’était, sans le savoir, une expérience de même nature que le "I am" de la littérature hindoue. Il n’y a rien au delà du "I AM", il n’y a rien au delà du "je suis", on ne peut pas aller plus loin sans s’éliminer soi-même. C’est le niveau du Témoin dans le bouddhisme que l’on perçoit en méditation lorsqu’on est totalement détaché de ses pensées : soit que ces pensées aient disparues, soit qu’elles soient simplement vues, sans que l’on s’y attache. (Note :En fait il existe un niveau au delà du I AM qui est la dissolution dans le grand tout, lorsque le Témoin devient un avec le monde, mais ce ne fut pas le niveau de révélation de Descartes, ni celui de Husserl).

Descartes, fait le travail du « qui suis je » sans réellement se poser cette question. En fait, il cherche plutôt à trouver un appui solide à partir duquel il puisse disposer d’une certaine évidence, d’une vérité universelle qu’il ne puisse pas remettre en doute. Ce faisant, il doute de tout :
Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n'avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l'étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu'est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu'il n'y a rien au monde de certain. (Méditation seconde)
Dans le développement spirituel, ce moment de doute absolu apparaît nécessairement lorsqu’on a déjà bien éliminé tout ce que l’on pensait faire partie de sa personnalité, et qu’on se rencontre qu’il ne s’agit finalement que d’habits que l’on a revêtus tellement longtemps qu’on a cru qu’ils faisaient partie de nous. Et le terme «habit» renvoie justement à «habitus» et «habitude», c’est-à-dire à un comportement répétitif qui s’inscrit dans ce que l’on croît être notre personnalité. Mais arrivé à ce moment là, une sorte de vertige nous étreint, un mélange d’ivresse et de dépression. Nous ne savons plus qui nous sommes puisque tout a été détruit. Pour Descartes, il n’y a plus rien de certain. Et pourtant au milieu de ce tournis, de ce vide existentiel qui nous envahit, une certitude apparaît, qui constitue une faible lueur :
Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. (Discours de la méthode 4ème partie)
Ou bien
Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. (méditation seconde)
En lisant ces phrases, on sent que Descartes présente ses résultats comme le fruit d’une réflexion (ce qu’il appelle méditation, mais qui n’a rien à voir avec la méditation telle qu’elle est pratiquée dans la démarche spirituelle). Ce n’est pas la pure évidence d’être seulement une conscience, d’être juste un "je suis", mais le résultat d’une réflexion sur une proposition : c’est le fait de penser "je suis" qui fait que l'on existe nécessairement. Ce faisant il peut s’adresser à toutes ces personnes qui n’ont pas encore fait le travail de dépoussiérer leur être de tous les jugements, représentations, souvenirs, opinions, formes de pensées qu’ils croient faire partie de leur essence alors qu’il ne s’agit que de formes superficielles qui les ont habitées pendant des années et qui peuvent disparaître en un instant (bon, en général, cela ne part pas en un instant, mais parfois on peut avoir des "peak experiences" où l’on perd sa personnalité sans perdre sa conscience pendant quelques instants. Cela fait très bizarre...)